La journée se termine. Journée pleine, lourde, parfois tendue, mais journée habituelle de consultations, visites, et journée Médicale surtout. Elle veut s’échapper, je l’ai bien trop longtemps retenue.
L’ordinateur finit de transmettre les feuilles de soin, le calme s’est installé dans la salle d’attente, puis dans la salle de soins, et enfin dans le bureau.
Sur le bureau, des papiers, des notes, des choses à faire, à lire, à scanner, à mémoriser pour la prochaine fois. Les mains se lavent, machinalement, sans hâte, pour rompre avec le rythme soutenu des heures précédentes, et l’esprit s’envole.
Combien de peaux touchées, combien de ventres et de cous palpés ; combien de cœurs et de poumons écoutés… Combien d’histoires, de sous-entendus, de partages de vies ; combien de négociations, de décisions, d’explications, de sourires, de froncements de sourcils, et de pincements de lèvres ?
Combien de misères et de joies vécues par procuration, combien de petits bébés examinés, pesés, piqués , combien de vieux corps testés, combien de résultats lus, commentés, discutés, expliqués ?
Des images, des sensations, enregistrées mais pas retenues, remontent petit à petit. Ce parfum sentait vraiment bon, cette robe lui allait bien, vraiment ; ce torse a du beaucoup fréquenter la salle de musculation. Ces chaussures sont ravissantes, et cette bague a du coûter une fortune au gentil donateur, quant à cette fameuse jupe trop courte….
La pression retombe, les gestes redeviennent naturels, plus lents, moins dirigés. La faim oubliée jusque-là se fait à nouveau sentir. Les échanges de la journée ont été bons, fructueux, amusants parfois, utiles j’espère. Dans ces tranches de vie, il y a eu de la comédie, un peu de drame, de la joie, et peu de larmes.
La mue s’opère. Peu à peu, la peau du jour du « bon docteur » se déchire, enlevant un peu de poids, les sons, les voix, les bruits de la consultation s’estompent, laissant place au chant des oiseaux. Tout semble retenir son souffle, ne pas vouloir prendre trop de place, laisser faire le moment, pour que le « passage » se réalise comme il faut.
Les lumières s’éteignent, une à une, le soir tombe déjà. Dehors, cela sent bon la chaleur et l’été qui approche. La transformation est faite, l’interface est passée. Laissant au fond de son cartable le « Monsieur le Docteur », je rentre dans ma maison, redevenir « Monsieur Tout le Monde ».